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Vanessa Brias, Studio Bagel et la mafia ardéchoise: « Le Web c’est un gang façon les Goonies »

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Le Studio Bagel est une des sensations du moment. La société de production irradie le PAF et le net, en regroupant un collectif d’humoristes et de « talents du web ». On peut notamment les voir lors du Before du Grand Journal sur Canal +. De l’écriture qui tape au coeur et à l’âme, une équipe intransigeante, une attitude en roue libre…et au milieu, une ancienne copine de lycée, Vanessa Brias. A l’époque, on la voyait déjà de loin à la récré, entourée d’un gang de filles et de garçons en quête de sens. Les jeans trop larges et les tresses ont laissé la place à la plume, aux caméras et aux micros. Mais l’esprit demeure.

Rencontre avec Vanessa Brias, une des faiseuses d’or de Studio Bagel.

Tu es née dans les tréfonds de l’Ardèche; comment se fait-il que tu te retrouves dans les bas-fonds de la hype entre Canal + et l’internet mondial ?
C’est une question que l’on me pose souvent, comment tu passes d’un village de 600 habitants à Boulogne-Billancourt.
J’étais à l’internat au Lycée Boissy d’Anglas à Annonay et j’ai rencontré dans un atelier d’improvisation, Davy Mourier. Ce fût une rencontre déterminante. Il m’a montré Bernie de Dupontel, Memento de Nolan, m’a fait lire du Larcenet, m’a montré que le petit film fait à la JVC au repas de famille pouvait en fait être une vraie histoire si on était plus exigeant. J’avais les cheveux roses, des pumas clyde, un 3310 sans le forfait millenium et je le regardais galérer à balancer ses vidéos avec le modem 56k.
J’avais 16 ans et Davy a véritablement foutu un bordel monstre dans ma vie car il a libéré des suppositions, des partis-pris et des envies un peu inavouées.
Je suis passée d’un DEUG de sciences politiques à une maîtrise de création et gestion culturelle qui s’est terminée par un stage de 6 mois dans un théâtre chelou à Melbourne, « La Mama Theatre ». Eût lieu alors ma 2ème rencontre déterminante : Lloyd Jones. Un metteur en scène de 40 ans mon aîné que j’ai assisté dans ses créations. J’ai vraiment l’impression d’avoir vécu un truc Off-Broadway, où tu te retrouves à faire la prod, parfois la lumière, ensuite faire des recherches sur l’au-delà, puis carrément à jouer dans une pièce tous les soirs dans une autre langue. Il a ouvert un champ des possibles qui m’a complètement submergé et m’a convaincu que je voulais traîner là où ça fuse, là où c’est sale, là où ça crée.
De retour en France, je décide de retourner à Pigna en Corse au Centre Culturel Voce où j’avais l’habitude d’aller l’été travailler pendant mes études. Je suis alors devenue Administratrice de la résidence d’artistes.
Comme d’habitude, j’ai trainé partout, des églises au studio d’enregistrement, de l’auditorium au comptoir du village. T’apprends tout dans la rue si tu sais écouter. Tu apprends l’extrême musicalité du silence aussi. Les non-dits, les omissions, les rancœurs, les sous-entendus, l’humilité et la pudeur, ça fait du bruit si tu tends l’oreille.
En 2011, je décide de venir à Paris. Davy lançait une nouvelle émission. Je me suis retrouvée dans une cave du 11ème avec Davy, Poulpe, François Descraques, Rémy Argaud, Clément Maurin et FloBer : c’était le Golden Show.
Dans la cave, on vivait comme des vampires. Mais avec des perruques en synthétique et du Dr Pepper. On faisait tout nous-mêmes. C’était le petit bruit qui court et qui fédère, de Bref au PalmaShow en passant par Alexandre Astier et Michel Cymès.
Puis Golden Moustache et Studio Bagel ont été créés, les choses se sont structurées et le Web est devenu un petit Hollywood 2.0, l’Eldorado s’appelant YouTube et un travelling, un cadi de supermarché.
Le Web c’est un gang façon les Goonies, des insatisfaits blasés par la TV qui est parti en vrille avec la télé-réalité, qui a moisi à force de réutiliser les mêmes gens qui font les mêmes vannes dans les mêmes concepts mais qui paraissait être une forteresse inaccessible. Le Web a affranchi les créatifs et a libéré l’espace entre eux et le public : tu fais, tu uploades, vous voyez, on en parle. La viralité et la communauté, on a tous compris très vite le potentiel. Ça m’a toujours fasciné. Je payais 500F de hors-forfait à mes parents pour squatter les chats IRC.
Désormais, je travaille chez Studio Bagel en tant que Directrice de production (Les Tutos, Le Dezapping, les sketchs YouTube, Bapt&Gaël,…).
Nous faisons désormais partie de Canal+. C’est une nouvelle étape folle, une rencontre IRL vraiment cool avec une chaîne qui pour le coup est la source de pleins d’influences. C’est un peu le cousin qui vient de la ville, qui a une super mobylette et qui écoute le Wu-Tang. T’as trop envie de faire partie de sa bande.
C’est donc l’histoire en 56K d’une self-made-woman à l’ardéchoise. Un futur potentiel biopic diffusé sur TMC avec Clémentine Célarié dans le rôle-titre, tip top en temps de crise.
Mais en vrai c’est surtout l’histoire d’une fille passionnée de belles histoires et boulimique de travail qui a su bien choisir ses potes.
Quelle est la différence entre la cour du Lycée Boissy d’Anglas et la cour de ton lieu de travail ?
Mon binôme de l’internat vit encore avec moi actuellement, Davy est à Paris, Rémy Argaud qui cadrait les vidéos de Davy à l’époque aussi donc on bosse souvent ensemble, l’un de mes stagiaires vient de mon village, le mixeur de Studio Bagel est aussi originaire du coin, Marjolaine notre maquilleuse vient d’Ardèche également. C’est une véritable mafia ardéchoise que l’on a créée avec Davy !
C’est pratique car quand tu dis « Fais y voir », « Bah bon dieu y’a Ludoc qu’a débaroulé », « Axel vas-y pas ça craint » ou que tu salues les gens le matin en disant « Qu’est-ce qui dit ? », je suis sûre que y’a au moins une personne de mon équipe qui va comprendre. Dans quelques années, ça sera hype de venir du 0-7 et ce sera une belle revanche crois-moi.
Mais aujourd’hui j’ai l’impression que mon travail c’est d’être la CPE dans une cour pleine d’enfants hyperactifs et d’être capable de les aider à mettre en oeuvre leur projet de kermesse. Et je crois que je suis une CPE plutôt cool, qui te laisse ta liberté, même faire des conneries voire filer un peu de blé à ton asso pour que ta kermesse soit mieux faite si elle sent que c’est constructif.
Parce que oui une blague c’est constructif. Je prends la légèreté très au sérieux.
Plus sérieusement : on t’a vue jouer les filles délurées, la bonne copine, la productrice qui ressemble fort à celle des années glorieuses de la radio libre…tu joues un rôle ou tu es vraiment comme ça « dans la vraie vie » ?
Chasser le naturel, il revient toujours au galop. Moi je ne sais pas mentir. J’ai essayé plus jeune d’atténuer des traits de caractères ou de les accentuer, d’en faire des caisses ou de me rendre lisse. Les années ça t’apporte un truc génial : le détachement. On ne trouve jamais qui on est, par contre à un moment on arrête de chercher à tout prix la réponse.
Et puis j’ai toujours eu l’impression d’être 25 personnes en même temps, des femmes, des hommes, des enfants. Je suis très sincère dans mes démarches, dans ma manière de parler, dans ma manière de m’emporter, de rire ou d’aimer. J’aime beaucoup les gens. Ils m’effraient un peu, mais je les aime. J’ai bien essayé de les détester malheureusement ils me rendent heureuse. J’aime les regarder s’accomplir. Poulpe par exemple. Il est là, il brille. Il a ce truc indéfinissable hyper puissant qui te happe, il ne joue pas, il est habité.
Au final, je suis une fille libre, pas délurée. Je suis une fausse excentrique. Je me permets juste plus de choses que d’autres. J’ai plus de facilités à assumer. Au final ce qui m’importe c’est vraiment la liberté. Et l’accident. Les accidents de parcours ça a construit ma vie, et une suite d’accidents ça crée une cohérence si tu décides de les prendre en compte.
Quand je dis que je prends la légèreté très au sérieux, c’est aussi parce que j’aime les choses justes et assumées. Si ça sonne faux, ça s’entend tout de suite. Je préfère quelqu’un de snob mais qui le sait que quelqu’un de faussement cool, ça peut me rendre dingue. Mec t’es rabat-joie, c’est pas grave, ça peut même être drôle. Un rôle c’est pareil, si tu t’entends jouer, ça veut dire que c’est raté. Tu as un pacte tacite avec les gens qui te regardent : je sais que tu sais que je joue à être quelqu’un d’autre mais viens on dit tu fais comme si c’était pas moi. Tu dois être ce que tu joues et non pas te regarder le faire. Ce que réussit Jérôme Niel dans les Tutos par exemple avec son personnage dingo. Car en réalité Jérôme c’est un bébé chat à qui tu as envie d’apporter une coupelle de lait sur son coussin en velours.
Et puis j’adore l’idée de gang et je déteste les choses médiocres. Quand je travaille, je me sens comme dans le prologue de West-Side Story, on marche en claquant des doigts, la tête haute, avec défi. Même si notre gang défend les intérêts des pissenlits et bah on donnera tout pour défendre les pissenlits tous ensemble de la meilleure manière qui soit et surtout comprendre pourquoi on le fait. Et si tu parles de pissenlits avec ton âme, en organisant des brigades de fleuristes, tu peux parier que les gens auront envie d’y croire, en tout cas d’essayer. Et j’aime l’idée que l’on puisse se reposer sur mon énergie. Ça me comble. Mon égo, c’est les autres.
Je sais quand je parle on dirait que je suis bourrée.
Mais non en fait je suis juste une putain de romanesque.
Il y a une nouvelle génération de femmes « badass » qui cassent les stéréotypes sur ce qu’on pourrait attendre des filles : tu penses en faire partie ou tu penses que tout ça, c’est du pipeau? (ex: la Connasse etc.)
Les stéréotypes c’est terrible. Qu’on se pose la question de savoir ce qu’on peut attendre des filles, en soi c’est une question terrible. On ne peut attendre des filles que d’exposer leur talent. Je n’espère pas d’autre attentes de la part de la société. Malheureusement ce n’est pas encore le cas, car l’image que l’on a véhiculée des femmes s’est imprégnée partout et la déconstruire va prendre du temps.
Les choses sont encore très ancrées dans la tête des mecs, mais aussi dans la tête des nanas.
Des femmes badass il y en a toujours eu en vérité. Des tocards aussi. J’espère juste qu’on verra plus de femmes qui s’assument en tant que telles et moins de tocards.
Je déteste quand les filles disent qu’elles sont des garçons manqués. Moi j’ai réussi à être une fille. Juste une fille. Qui aime quand un garçon m’apprend un truc d’égal à égal, et faire l’inverse. J’aime ça sur les tournages. La technique ce sont des garçons et des filles tous aussi dégourdis les uns que les autres qui ne se regardent jamais avec un jugement de départ lié au genre. Ça choque personne de voir une fille avec une visseuse, ou un mec maquilleur.
En fait, dans les 25 personnes qui habitent dans ma tête il y a une villa où vivent en coloc Buffy, Matilda, Hermione, Beyoncé, Daenerys Targaryen, Carrie Hopewell, Jennifer Lawrence, Marie Stuart et Christine and the Queens.
On s’éclate, y’a toujours pleins de potes qui passent genre Louis CK, Dylan Thomas, Zach Galifanakis, Lou Reed, Vork et Drazic. Quand Crocodile Dundee débarque, en général on sait que la villa ça devient une soirée Projet X.
Quel réalisateur devrait t’appeler pour tourner ?
Je travaille déjà avec les réalisateurs de demain. Je crois que mon patronus pourrait prendre la forme de François Descraques. Avec son frère Raphaël il forme la dynastie de l’image et du sens. J’ai envie de les collectionner dans un album Panini. J’aime travailler avec eux dans l’ombre mais aussi pour le coup dans la « lumière ». J’ai confiance en leur manière de me diriger et en leurs choix. Je travaille aussi Ludovik et Ludoc. Ils sont tous sans concession, hyper exigeants et ce, depuis le début malgré le peu de moyens. Ils font leurs armes sur le Web ou dans des programmes courts en télé et dans 5 ans, tu verras…
Travailler avec Alexandre Astier ça a été dingo, une vraie belle perche tendue par la vie. Il sait où il veut emmener son histoire et les gens qui l’incarnent. Il accompagne les gens pour qu’ils tendent vers l’essentiel, il épure les tics de langage, les silences inutiles, les ruptures qui n’apportent rien. Il écrit une partition, à chaque soliste son caractère mais le mouvement doit être précis.
Je crois en fait que j’aimerais travailler avec tous les réalisateurs qui mettent du sens derrière chacun de leur plan, qui n’illustrent pas mais qui racontent.

L’un de mes premiers souvenirs forts de cinéma remonte à 2001, j’avais été jury lycéen pour le Festival International du Premier Film d’Annonay. J’y ai vu « Amours Chiennes » d’Iñárritu. Ce film je ne l’ai pas revu depuis, j’ai peur d’écraser la sensation folle que j’avais ressenti à 16 ans. En fait je me suis sentie hyper nulle, j’ai réalisé qu’un film ça pouvait être autre chose qu’une histoire avec un début, une fin et des trucs au milieu. Que ça pouvait avoir une forme, un grain, être non-linéaire. Ça me fait pareil avec Melancholia de Lars Von Trier. Je ne veux pas le revoir. Le prélude de Tristan et Yzeult, la cabane à la fin… Je l’avais vu en plein air au Festival de Lama en Corse dans le maquis, j’en ai encore mal au ventre. Je suis fascinée par la lumière et la musique. Et en même temps elles m’épuisent, car elles peuvent trop m’émouvoir, me rendre nostalgique ou m’effrayer.

Sinon les réalisateurs peuvent m’appeler pour parler de la pluie et du beau temps, j’adore parler pour ne rien dire.
Aux gens qui ont peur de se lancer, que leur dirais-tu?
Je leur raconterai cette analogie pas piquée des hannetons.

En haut d’un toboggan abrupt à Aquacity, tu flippes. Les gens s’impatientent derrière toi, t’as peur que ton zlip il reste coincé dans ton cul, tu vois ta mère en bas qui te filme, tu transpires, tu te sens pris en otage alors qu’on t’a vendu ça comme un divertissement. Puis tu te lances. Tu flippes tout du long mais c’est trop tard, t’as plus le choix. Et puis tu arrives en bas, ton zlip est dans ton cul mais tu t’en fous, tu souris à la caméra et en plus de ça t’as envie de recommencer direct.
Voilà je suis sûre que j’ai rassuré toute une génération avec ça. C’est vraiment super.
Et sinon autour d’un verre de Condrieu je te dirais : « La vie a beaucoup plus d’imagination que nous ».

C’est Truffaut qui disait ça. Parce que oui, t’avais prévu d’aller à Aquacity l’an prochain mais en vérité tu vas te retrouver au Parc Astérix et ça, tu l’avais pas vu venir.
Et il paraît que ça s’appelle la vie.
Crédit photo: Alex Mahieu

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